Pages

lundi 19 août 2013

L'OBESITE EST UNE MALADIE, MAIS NE LE DITES PAS AUX GROS

Hush! par Daniela Vladimirova via FlickrCC
OUTILS
           
L’obésité est une maladie. Et le dire devrait améliorer notre connaissance sur le sujet et favoriser les traitements. Mais, avec le recul, la journaliste Maia Szalavitz constate que cette approche n’a pas franchement porté ses fruits avec l’alcoolisme ou d’autres addictions.
Spécialiste en neuroscience et «obsédée par les addictions, l’amour, l’empathie et tout ce qui touche au cerveau et au comportement», Maia Szalavitz titre dans Time Magazine: «Point de vue: définir l’obésité comme maladie peut être plus néfaste que profitable»
 
Maia Szalavitz explique qu’il n’y a aucun critère standard pour définir une pathologie en tant que «maladie». Pourtant, c’est ce qu’a fait l’American Medical Association (AMA) le 18 juin 2013:
L'obésité comme une maladie
Aujourd'hui, l'AMA a adopté une politique qui reconnaît l'obésité comme une maladie nécessitant un éventail d'interventions médicales pour faire avancer le traitement de l'obésité et la prévention.
«Reconnaître que l'obésité est une maladie aidera à changer la façon dont la communauté médicale aborde cette question complexe qui touche environ un Américain sur trois», a déclaré Patrice Harris, médecin membre du bureau de l'AMA. «L'AMA s'est engagée à améliorer l'état de santé et à travailler sur la réduction des taux de maladies cardiovasculaires et de diabète de type, qui sont souvent liés à l'obésité.»
 
Avec cette décision, l’AMA ouvre la voie au développement des traitements et pourquoi pas, à leur remboursement. Le magazine Forbes y voit un excellent moyen de gonfler les ventes de médicaments pour le régime, comme le Belviq et le Qsymia.
Maia Szalavitz, elle, y voit surtout un moyen de dé-stigmatiser l’obésité et d’encourager les médecin à traiter le problème plus sérieusement.

Les obèses dans tout ça?

Le pas en avant de l’AMA est bien sûr louable, mais pour Maia Szalavitz, il n’aurait pas les résultats escomptés. Elle se fonde sur une étude récente de plusieurs travaux sur des problèmes psychologiques qui peuvent avoir une origine génétique. Les classer en tant que maladie a un atout: cela réduit la culpabilité qui pèse sur les personnes atteintes en modifiant deux regards, celui de la société, et le leur.
Sauf que labéliser l’obésité en maladie peut aussi entraîner un certain pessimisme quant à la guérison. Comme les patients estiment alors qu’il s’agit d’un problème biologique et génétique, ils ne peuvent rien y faire.
Maia Szalavitz prend le cas de l’alcoolisme. Plus les alcooliques croient que leur addiction est en fait une «pathologie de rechute chronique contre laquelle ils ne peuvent rien»… Et plus leur rechute est profonde. Le label «maladie» n’a pas augmenté le nombre de rechutes, mais il les a rendues pires.

Médicaliser des problèmes normaux

Cette ouverture ne pousserait-elle pas les patients et les médecins à croire que faire des excès requiert une forme de médicalisation et doit absolument être traité? Maia Szalavitz explique:
«Appliquer le concept de la maladie à tout-va peut finir en ghettoïsation du système de soins, normalement destiné aux cas sévères.»
C’est également un problème que souligne l’American Psychiatric Association dans son manuel, réédité cette année. La mode de tout médicaliser aboutit à un mauvais usage et à la surconsommation des médicaments psychotropes.

L’obésité doit-elle être corrigée?

Considérer les addictions comme maladies est sans doute mieux que de les voir comme faiblesses morales, concède Maia Szalavitz. Mais elle s’interroge sur une autre dérive possible:
«Être gros est-il vraiment quelque chose qui nécessite un diagnostique, un traitement et surtout, une correction?»
En fait, le Council on Science and Public Health de l’AMA avait déconseillé dans un rapport de reconnaître l’obésité comme maladie. D’après le conseil, il s’agirait plus d’un facteur aggravant pour d’autres maladies comme le diabète, les problèmes cardiaques et l’hypertension, mais pas d’une maladie en soi. En d’autres termes, l’obésité serait au diabète ce que le binge drinking est à l’alcoolisme: un facteur de risque, pas une maladie.
Le conseil de l’AMA a également souligné le fait qu’il n’existe pas de critères standard pour tracer une ligne entre un surpoids sain et un surpoids dangereux:
«En l’absence d’une seule définition claire, faisant autorité et largement approuvée de “maladie”, il est difficile de déterminer si l’obésité est ou n’est pas à un état de maladie.»
Et de ce côté, on ne peut pas vraiment dire que le fameux IMC aide à déterminer quoi que ce soit. Il peut très bien faire que l'on considère une personne musclée et en bonne santé comme étant en surpoids, et une personne pas en surpoids, mais avec du diabète, comme parfaitement en santé.

L’obésité, c’est grave quand même

Maia Szalavitz précise néanmoins qu’il ne s’agit pas de nier le lien entre l’obésité et toute autre maladie grave. Il faut toutefois faire attention, selon elle. Certaines personnes obèses souffrent effectivement d’addictions à la nourriture, qui peuvent être entraînées par des prédispositions du métabolisme ou des gènes... Qui ne sont clairement pas modifiables par le seul pouvoir de la volonté. Mais tous les obèses n’ont pas de problème comportemental avec la nourriture.
Dire aux obèses qu’ils souffrent d’une maladie indépendante de leur volonté peut entraîner des schémas de mise en défaite, argue Maia Szalavitz. Il faut donc utiliser le label «maladie» avec parcimonie si l’AMA veut arriver à son but: une plus grande prise de conscience sur l’obésité et un meilleur encadrement des soins.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire